Talion Aiguille

Cela a commencé par une piqûre sur l'orteil.

Je sursaute, ouvre les yeux. Dans la pénombre, je suis sûre de distinguer une silhouette. J'essaye d’attraper mon arme, mais...

****

Glacée. Jusqu'aux os.

Douleur. J'ai mal. Partout. Paralysée.

Du mal à respirer. Poumons oppressés.

Angoisse. Incompréhension.

****

J'ai du mal à soulever mes paupières. Elles semblent collées et en même temps, je les sens rêches comme du papier de verre. J'essaye de me lever. Impossible. J'ai des vertiges... J'ouvre la bouche et horreur : aucun son n'en sort ! La seule plainte que j'arrive à gargouiller est une sorte de gémissement entre un pleur de nourrisson et un cri étouffé de hyène. Qu'est-ce qu'il y avait dans cette putain de seringue ?

Instinctivement, je porte la main à ma gorge... Un collier en fonte est verrouillé autour de mon cou par un cadenas à clé ! Dans un sursaut je me retourne, et je me rends compte que je suis retenue par une chaîne, cimentée au mur de derrière...

Effroi. Cauchemar.

Qui m'a enfermée ici ? Et pourquoi ?

Un ancien détenu ? Un ex-amant revanchard ? Un taré qui croit voir sa mère dans les femmes qu'il croise ? Mon cerveau mouline à cent à l'heure.

Et puis à nouveau, le noir.

****

Je suis couchée sur mon flanc gauche ; j'ai dû m'évanouir. Sur ma droite, une petite bouteille d'eau plate. Je me méfie, forcément... Mais j'ai une soif de chameau, je n'y peux rien. Contre mon gré, et sur ordre de mon cerveau reptilien, je me jette sur le liquide salvateur jusqu'à m'en étouffer. Au même moment, je crois entendre quelqu'un chanter...

Je perds les pédales, non ?

« Il était un petit homme, pirouette, cacahuète. Il était un petit homme, qui avait une drôle de maison, qui avait une drôle de maison... »

Cette voix... Cette chanson... Des souvenirs d'enfance ressurgissent.

Mais c'est impossible ! Ça ne peut pas être elle ! Et pourtant, on dirait bien... Mais pourquoi ? Pourquoi ?

Horreur. Folie.

Bruit de clé.

****

- Alors petite merde, on est réveillée ? Surprise, c'est moi ! Je suis de retour !

- Gnnn... Gnnn...

- Bah alors, qu'est-ce qui se passe Sherlock ? T'as perdu ta langue ? C'est l'émotion, c'est ça ? Ah bah c'est sûr, tu t'attendais pas à moi, hein ?

- Gnnn... Gnnn...

- Sérieusement connasse ? C'est tout ce dont t'es capable ? Accouche, putain ! Magne-toi !

- Ppppp...oooo...uuu...

- Pou... Pou... Pou... Poupoupou ? Eh ben, il est beau le fleuron de la police française ! Tu me dégoûtes, ma pauvre fille...

Je me concentre - elle a dû m'injecter une dose de cheval - et dans un murmure plaintif, j'arrive à articuler :

- Pourqu... oi... ?

- Pourquoi, pourquoi, pourquoi ! Tout de suite ! Comme si je te devais des réponses ! Non mais tu te prends pour qui ? Sale garce !

- Mais... Qu'est-ce... que... je t'ai... fait ?

Elle me regarde, froide, sardonique. Je sais que c'est elle, mais je ne la reconnais pas. Qui est cette étrangère ? Ça me terrorise. Bien plus que si mon bourreau était une inconnue. Je me sans trahie, blessée dans ma chair. Je reste muette.

- Mais regarde toi ! Madame « La loi, c'est moi »... Tellement persuadée d'être du bon côté ! Tellement sûre de toi ! Surtout, te remets pas en question, hein ! Salope !

De quoi elle parle, bordel ? Qu'est-ce que j'ai bien pu lui faire d'aussi horrible ? Moi qui l'aime tant ! Je ne comprends rien... Surtout ne pas chialer... Ne pas chialer... Ne pas...

Oh merde... Elle sort un truc sa poche. Un petit pot pour bébé !

Oh putain, ça bouge à l'intérieur ! Non... non... non... non...

Elle se rapproche lentement de moi. Oh putain, je vois ce que ça contient... Non... non... non... non...

Des veuves noires... Bordel, il y en a au moins vingt là dedans ! Je vais crever...

- Pi... tié... S'il... te... plaît, arr... ête ! On peut... parler... non ?

Ma mâchoire, raide comme la mort, refuse toujours de s'actionner normalement.

- Dis... moi... ah... pour... quoi tu... m'en veux ! Je... peux... essay... essayer...

Elle part dans un rire à glacer le sang. Elle me fait penser au Joker.

- Essayer quoi ? Mais c'est trop tard ! Trop tard, t'entends ! Tu vas comprendre ma douleur à travers la tienne ! Je vais te les faire bouffer...

Son visage n'est plus qu'à 50 cm du mien, sa main sur le couvercle du petit pot. Ses yeux sont figés dans la couleur de la haine. Ses lèvres s’entrouvrent, et ma sentence tombe.

- T'es devenue flic. T'as osé, putain. Alors que t'as même pas été foutue de nous protéger. Ni moi. Ta propre sœur. Ni mon bébé.

Mon Dieu, si elle savait... Que c'est justement pour cette raison que je m'étais engagée.

Plop.

À peine le temps d'une larme.

Tous droits réservés - Aude Tichand - 2020

Aude Tichand - Auteure

E-mail : aude.tichand.auteure@gmail.com